« Vélosure » de Škoda : une campagne de sécurité routière à côté de la plaque
« Vélosure » de Škoda : une campagne de sécurité routière à côté de la plaque
10 octobre 2025 · Laurence Lewalle
Škoda Belgique a lancé sa campagne « Vélosure » visant à promouvoir la sécurité cycliste. Selon le constructeur automobile qui invite les Belges à répondre à une grande enquête, il s’agit de « donner une voix » aux cyclistes, de sensibiliser, d’encourager des actions avec les communes… L’objectif annoncé est de contribuer à une mobilité plus sûre, notamment en milieu urbain où les accidents sont plus nombreux. Les participants à l’enquête se voient même offrir une vareuse fluo en passant dans un garage de la marque ! En l’analysant de plus près, on remarque que cette campagne passe largement à côté de l’objectif qu’elle affiche.
Au-delà d’une méthodologie d’enquête dont on voit mal comment les résultats pourraient être utilisés (échelle de valeur pas claire, on propose de donner un avis sur sa rue mais en ne mentionnant que le code postal, …), cette campagne soulève une question de fond : sur qui fait-on réellement reposer la responsabilité de la sécurité routière ?
Une communication bienveillante… mais à sens unique
Les messages diffusés dans les conseils de la marque mettent en avant la « visibilité », la « prudence », la « voix des cyclistes » et la « coexistence sur la route ». Ces valeurs sont louables mais elles traduisent une approche qui déplace la responsabilité de la sécurité vers les victimes potentielles plutôt que vers les causes structurelles du danger. Être prudent, visible, attentif : oui, bien sûr. Mais cela ne protège pas un cycliste des conséquences d’un dépassement trop serré, d’un SUV aux angles morts, d’un freinage tardif ou d’un aménagement inadapté.
Le problème n’est pas juste que les cyclistes ne se rendent pas visibles : les infrastructures sont souvent défaillantes, les limitations de vitesse trop élevées, l’usager actif peu respecté et l’espace public encore largement dédié au trafic motorisé.
Quand Škoda conseille au cycliste de « se protéger » plutôt que de condamner les comportements dangereux
Certaines phrases tirées des conseils au cycliste illustrent parfaitement ce glissement de responsabilité :
- « Le stationnement : attention aux portières qui s’ouvrent soudainement. »
- « Les ronds-points : il arrive que les conducteurs oublient la priorité des cyclistes. Cherchez le contact visuel et soyez prêt à céder le passage. »
- « Les virages : un automobiliste peut mal estimer votre vitesse et tourner trop tôt. Ralentissez si nécessaire. »
Ces formulations, apparemment inoffensives, véhiculent une logique inquiétante : elles demandent au cycliste de pallier les erreurs des autres, de s’adapter aux manquements, d’anticiper les infractions.
Au lieu de dire : « Les automobilistes doivent vérifier avant d’ouvrir une portière, respecter la priorité et maîtriser leur vitesse », on dit au cycliste : « Méfiez-vous, ralentissez, cédez. ».
Même dans son article sur le « Dutch Reach » (une méthode consistant à ouvrir sa portière avec la main opposée pour mieux voir derrière et empêcher un emportiérage), Škoda priorise l’information en responsabilisant le cycliste d’abord en l’invitant à « établir un contact visuel » (dans le cas d’un vélo qui dépasse et longe des voitures en stationnement, cela semble pourtant compliqué), ensuite en évoquant les innovation technologiques présentes sur les nouveau véhicules, des aides à la conduite qui deviennent de « vrais alliés pour la sécurité des cyclistes » avant de finalement mentionner le réflexe que tout automobiliste devrait avoir au moment de sortir de son véhicule. Rappelons qu’éviter instantanément une portière qui s’ouvre est un exploit que Remco Evenepoel lui-même n’a pas su réaliser quand il a été victime d’emportiérage en 2024.
Une rhétorique qui entretient 2 cultures
Celle du tout à l’automobile : plus le véhicule serait puissant, plus il faudrait s’y adapter et lui faire de la place. Et celle de la résignation : elle rend le danger « normal » et transforme la vigilance des cyclistes en substitut à l’absence de civisme automobile. En d’autres termes, on demande à la victime potentielle de se protéger au lieu de condamner le comportement du responsable.
Or, ce dont nous avons besoin c’est d’un autre modèle de mobilité, qui ne soit plus basé sur la puissance mais sur le respect de l’autre, en particulier du plus vulnérable.
Le cœur du problème : les véhicules et les infrastructures
Dans ses enquêtes et baromètres, Avello le rappelle avec constance : le sentiment d’insécurité des cyclistes vient avant tout de la dangerosité objective de la circulation motorisée, de l’absence d’aménagements sécurisés et de la méconnaissance du code de la route.
Or la campagne Vélosure de Škoda Belgique ne remet jamais en cause :
- la taille et le poids croissants des véhicules — y compris ceux produits par la marque ;
- les limites de vitesse trop élevées encore présentes dans de nombreuses zones urbaines ;
- les distances de dépassement rarement respectées ;
- le manque de contrôle effectif des infractions automobiles.
Promouvoir la « sécurité cycliste » sans parler de ces facteurs revient à soigner les symptômes sans traiter la cause, voire pire à se donner une bonne conscience.
La sécurité n’est pas une attitude individuelle : c’est une construction collective
Pour Avello, il ne s’agit pas de demander de la compassion, mais bien de la cohérence. Une marque automobile qui se veut partenaire du vélo doit d’abord reconnaître que la sécurité routière est un choix d’aménagement et d’orientation des comportements, pas un réflexe individuel.
Cela suppose :
- de réduire la taille et la puissance des véhicules vendus et promus, notamment en ville ;
- de soutenir activement les politiques publiques de réduction du trafic motorisé et de réallocation de l’espace public ;
- de faire pression pour des infrastructures cyclables continues et protégées ;
- et, dans la communication, de partager la responsabilité de manière juste : le danger vient d’abord de ceux qui peuvent blesser, pas de ceux qui peuvent être blessés.
Une invitation à revoir le message
Nous invitons Škoda à revoir sa méthodologie et ses conseils aux cyclistes. Sensibiliser, oui. Mais pas en laissant croire que la sécurité repose d’abord sur les épaules de celles et ceux qui font leurs déplacements à vélo. Nous voulons une mobilité où la peur ne soit plus un réflexe et où chaque trajet à vélo soit un droit, pas un pari. Škoda, vous avez le pouvoir de contribuer à cela. Mais pour le faire, il faut regarder du bon côté du guidon.