Taxer les vélos : une idée parfaitement contre-productive !

Taxer les vélos : une idée parfaitement contre-productive !

20 octobre 2025 · Luc Goffinet

Plaques vélo

Le secteur automobile se plaint de façon récurrente du haut niveau de taxation des voitures en Belgique, et pointe régulièrement l’absence de taxe sur d’autres modes de transport comme le vélo. Il n’y a pourtant nulle injustice dans la taxation. Comme l’a déjà plusieurs fois mis en avant le Bureau fédéral du Plan, les taxes perçues sur la voiture couvrent à peine tous les coûts qu’elle engendre (pollution, accidents, santé, bruit, dérèglement climatique…). De son côté, non seulement le vélo paie déjà actuellement des taxes (TVA sur tous ses biens et services), mais il permet aussi et surtout de faire des économies collectives (santé, pollution, climat) supérieures à son coût pour les pouvoirs publics. Toute taxe contraignant son usage y porterait atteinte.

Le mythe de l’automobiliste « vache à lait »

Selon le secteur, en 2024 l’État belge aurait perçu 23,5 milliards € de taxes sur les automobilistes : taxes annuelles, accises carburants, TVA, etc. Ce calcul s’avère cependant biaisé. D’une part parce qu’il reprend aussi les amendes routières (qui ne sont pas une taxe). Et d’autre part parce qu’il passe complètement sous silence le cadeau fiscal qu’est la voiture de société (voiture « salaire »). Une défiscalisation qui fait perdre à l’État un montant équivalent à ce qui est perçu en taxe sur ces mêmes véhicules : entre 3 et 6 milliards €.

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Selon le Bureau fédéral du Plan, l’Union européenne et plusieurs études belges sur les externalités du transport routier, les coûts indirects de la voiture en Belgique représentent une charge considérable pour la collectivité. Ces coûts regroupent les impacts économiques, environnementaux et sanitaires non couverts par les « taxes » payées par les automobilistes :

  • Accidents de la route (5 à 6 M€) : coûts médicaux, judiciaires, pertes humaines et de productivité
    • Environ 40 000 blessés et plus de 400 morts par an ; ces coûts représentent 1% du PIB belge.
  • Pollution atmosphérique (3 à 4 M€) : maladies respiratoires, cardiovasculaires, mortalité prématurée, baisse de la qualité de vie
    • Environ 8 000 décès prématurés par an liés aux particules fines et au NO₂ selon l’AEE.
  • Congestion et perte de productivité (5 à 6 M€): temps perdu dans les embouteillages pour travailleurs et entreprises.
    • En moyenne 65 heures par conducteur par an, coûtant plus de 1 200 € par actif à Bruxelles ou Anvers.
  • Changements climatiques (1 à 2 M€) : coûts des émissions de CO₂ et respect des quotas européens
    • Environ 18% des émissions belges proviennent du transport routier
  • Usure des infrastructures (0,8 à 1,2 M€) : entretien et réparation des voiries, trottoirs, parkings.
    • Les véhicules lourds et SUV aggravent la charge sur les routes
  • Défiscalisation large des voitures de société (3 à 6 M€) : avantages fiscaux sous-imposés, pertes de recettes pour l’État.
    • 60% des voitures neuves sont des voitures de société ; coût annuel jusqu’à 6 milliards​

En additionnant ces coûts externes, la charge du secteur automobile pour la collectivité belge atteint environ 18 à 24 milliards € par an, ce qui compense presque entièrement les recettes fiscales directes de l’automobile (dégrossies ci-dessus). Autrement dit, le transport individuel motorisé coûte à la collectivité autant qu’il ne rapporte en « taxes », voire davantage lorsque l’on intègre les coûts sanitaires à long terme et la pollution urbaine. Sans même parler de l’aberration fiscale des « voitures salaires » :

Les experts du Bureau fédéral du Plan soulignent que la politique fiscale belge — notamment via les voitures de société — encourage encore la dépendance automobile, ce qui amplifie ces coûts sociaux. Une réforme visant à réduire cet avantage et à internaliser davantage les externalités (via une tarification kilométrique intelligente, par exemple) pourrait diminuer ces pertes et améliorer la santé publique, la mobilité urbaine et le climat.

L’automobiliste aurait donc plutôt tendance à contribuer un peu moins que nécessaire aux dégâts causés par son véhicule.

La sortie de piste sur la taxation des vélos

Aujourd’hui un chroniqueur de GoCar va plus loin que la complainte habituelle en ressortant l’idée d’une taxation des vélos pour mettre fin à la « discrimination des usagers de la mobilité en fonction de leur moyen de transport », et enrobe cela joliment par le fait « qu’une taxe sur les vélos pourrait contribuer, par exemple, à améliorer encore la sécurité des cyclistes ». Si ce chroniqueur invoque bien une taxation vélo, qui a existé jadis via une plaque métallique à fixer à son vélo, il en oublie par contre la raison de sa suppression : cette taxe coûtait davantage d’argent qu’elle n’en rapportait… L’argument invoqué de renflouer les caisses de l’Etat avec prête donc fortement à sourire.

Un autre point escamoté par le chroniqueur automobile est le fait que les cyclistes paient en fait déjà une taxe : la TVA sur tous leurs biens et services vélos consommés, pour laquelle il n’existe un taux préférentiel de 6% que sur la main d’œuvre pour les réparations. Sachant que le marché global du vélo pèse 1 milliard € en Belgique, ce sont donc plus de 100 millions € qui rentrent en TVA dans les caisses de l’Etat. Ce qui est déjà équivalent au budget cumulé investi dans le vélo par les régions wallonnes et bruxelloises.

Le vélo rapporte en fait à l’Etat

Selon toutes les études sur le sujet, dont la dernière en 2022 émanant de Transport & Mobility Leuven (TML), les externalités du vélo sont largement positives, notamment grâce à ses impacts sur la santé publique, l’environnement et l’économie.​ Tandis qu’un kilomètre en voiture engendre un coût d’environ 0,3 à 0,5 € pour la société, chaque kilomètre parcouru à vélo génère lui un bénéfice net compris entre 0,5 € et 1 €, en grande partie via ses impacts positifs sur la santé :

  • Santé publique (+0,40 à +0,70 €/km)
    • Réduction des maladies cardiovasculaires, du diabète, amélioration de la santé mentale
  • Pollution atmosphérique et bruit (+0,05 à +0,10 €/km)
    • Les vélos ne génèrent quasiment aucun bruit ni gaz toxiques pour la santé
  • Climat et CO₂ (+0,05 €/km)
    • En moyenne 90 g de CO₂ évités par km substitué à un trajet motorisé
  • Congestion et entretien des infrastructures (+0,05 €/km)
    • Moins d’espace routier occupé, usure négligeable des routes, fluidification du trafic urbain
  • Accidents (-0,02 à -0,05 €/km)
    • Les cyclistes sont plus vulnérables dans le trafic, mais la fréquence d’accidents graves diminue là où il y a des aménagements

Benelux Bike Benefits - TML

TML concluait déjà en 2022 pour le Bénélux et la Rhénanie-du-Nord-Westphalie :

Chaque personne qui se déplace à vélo génère un bénéfice net allant de 260 à 694 € par an, selon les km parcourus.

Conclusions

Le vélo engendre un gain économique net pour la collectivité en Belgique, contrairement à la voiture. Les coûts externes négatifs (accidents, infrastructures) sont marginaux, tandis que les retombées positives en santé, en climat et en économie locale compensent largement toute dépense publique liée aux aménagements cyclables. De ce point de vue, le vélo est l’un des modes de transport les plus économiquement vertueux. Toute mesure susceptible de décourager le vélo serait donc totalement contre-productive. Pour l’État comme pour les citoyens.